MARINE JOATTON
MIGRATION DE LA PEINTURE DANS LE DESSIN
Découverte en 2006 grâce à ses dessins lors de l’exposition collective À fleur de peau. Le dessin à l’épreuve à la galerie Éric Dupont à Paris, Marine Joatton développe un imaginaire fantastique dessiné sur des bouts de papier et s’étalant de manière frénétique sur ses carnets de dessin. Ses oeuvres récentes montrent un réel besoin de faire évoluer son geste vers des dimensions plus picturales où la couleur se révèle être le nouveau réservoir d’énergie. Au sein de son atelier parisien envahi de ses dessins, Marine Joatton revient sur sa réunion des territoires de la peinture et du dessin.
ENTRETIEN AVEC SOPHIE FARDELLA
Sophie Fardella :
Marine Joatton, le dessin possède une place centrale dans votre création. Comment cet intérêt particulier pour ce médium est-il né ?
Marine Joatton :
J’ai toujours dessiné. C’est une pratique que j’ai développée de façon continue et sans interruption depuis l’enfance, sans doute parce que mon père était professeur de dessin. J’ai compris grâce à lui que le dessin était quelque chose d’important, qu’il fallait faire avec sérieux et passion. Enfant, il y avait toujours des crayons, des feutres et du papier à portée de mains : un enfant peut beaucoup s’investir dans les jeux avec le dessin. Il y a toujours eu des dessins sur mes classeurs. C’est comme ça que, petit à petit, je me suis investie dans ce médium sans jamais l’abandonner.
Comment avez-vous décidé de déplacer votre pratique du dessin à celle de la peinture ?
C’est après l’exposition À fleur de peau et une exposition personnelle à la galerie Éric Dupont où je n’ai montré que des dessins que j’ai commencé à vouloir déplacer ma pratique sur des formats plus grands. Ce déplacement du dessin à la peinture ne s’est pas fait sans difficulté, car je n’avais pas du tout de connaissances sur ce médium. Les Beaux-Arts ne m’avaient pas formée à cette technique puisque j’y étais dans l’atelier de photographie. La technique de la peinture, je l’ai apprise en autodidacte, contrairement au dessin qui a toujours été le coeur de ma pratique, dans lequel j’avançais en terrain balisé. Avec la peinture, j’avais cette impression de recommencer à zéro, sans connaissance et sans rien maîtriser. De plus, la difficulté que j’ai tout de suite rencontrée a été de vouloir commencer avec l’huile. Au début, le résultat était peu satisfaisant et, petit à petit, j’ai pris de l’assurance, surtout après deux résidences en Corée dans un atelier de peinture en 2012 et 2013 ayant donné lieu à une exposition à la Galerie 604 de Pusan, qui soutient toujours mon travail. Je peignais sur de très grands châssis de 2 m sur 2,50 m où j’ai commencé à me sentir plus confiante. Depuis, la peinture et le dessin rythment ma production. Dans ma peinture, il y a toujours des éléments de dessins. Au départ, c’était le dessin, maintenant c’est la peinture qui commence à englober le dessin. Je pense que ce sont deux pratiques qui se complètent et je les considère comme deux outils qui me permettent d’avoir un espace de création hybride.
Avez-vous une règle de travail qui rythme ce processus de création ?
Celle-ci est en constante évolution. J’élabore toujours un protocole qui va être à l’origine d’une série ; lorsque je commence à m’ennuyer et que la série n’évolue plus et devient trop répétitive, j’arrête et j’en commence une autre. Ce qui détermine la série, c’est le format, la technique. En ce moment, j’utilise beaucoup de format raisin sur papier avec de la gouache. Lorsqu’une série sur petit format arrive à la fin d’un questionnement, je repars sur de plus grands formats en gardant les mêmes thèmes. Toutes mes oeuvres sont illustrées d’animaux, de masques, de portraits et d’êtres hybrides, qui me sont dictés par une écriture automatique. C’est un procédé qui m’aide à percevoir des choses et me guide lorsque je ne sais pas au départ ce que je veux faire : je pars de taches qui me révèlent peu à peu des formes que je viens préciser. Dans ma série en cours – les Merdons –, cette hybridation prend la forme de petits enfants, nounours, poupées, chiots, chatons, tout à la fois. Désormais, j’ai une vingtaine de grands formats très « peints ». Toujours associée à l’enfance, sa force et sa vulnérabilité, cette série des Merdons est un vaste champ d’expérimentations picturales.
Depuis cette migration de votre imaginaire fantastique dans le pictural, le dessin précède-t-il systématiquement l’acte de peindre ?
Le dessin ne vient jamais avant la peinture : il se construit avec… J’ai essayé dans La Contemplation de la flaque de commencer une toile par le dessin, puis de terminer par la peinture. Après cet essai, j’ai laissé tomber ce procédé qui essayait de différencier l’acte de dessiner de l’acte de peindre. En comparant cette oeuvre et Venir à bout des taupes, on remarque bien le passage entre deux procédés : celui qui différencie le dessin et la peinture dans le processus de réalisation, et, à l’inverse, celui qui lie à parts égales les deux médiums.
Dans votre série des Merdons, beaucoup plus picturale, il semble que la couleur vient petit à petit saturer l’espace de la toile et que les traits propres au dessin s’estompent. Le dessin face à la peinture ne disparaît-il pas finalement ?
Le dessin ne peut pas disparaître de mon travail, tout est question de dosage. Le dessin est dilué, amalgamé et fusionne avec la peinture. On ne peut plus dire qu’à un moment, je dessine et à un moment, je peins : ce sont des activités qui sont complètement imbriquées. Tout comme chez Emil Nolde ou Edvard Munch, qui m’ont beaucoup inspirée, on ne peut percevoir de différence entre leur dessin et leur peinture : ces deux médiums ont collaboré.
MARINE JOATTON EN QUELQUES DATES
Née en 1972. Vit et travaille à Paris. Représentée par les galeries Réjane Louin, Locquirec et Françoise Besson, Lyon.
Dernières expositions
2017 Le Vent souffle où il veut (jusqu’au 8 octobre), galerie Françoise Besson hors les murs, Thônes
2016 Un air de famille, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole