Philippe Dagen – Le monde – à propos de l’exposition « la contemplation de la Flaque »

Article publié dans Le monde daté du 12.09.09

Jusqu’à maintenant, Marine Joatton, 37 ans, avait presque exclusivement montré ses étranges dessins et pastels fourmillants, habités par des créatures hybrides et incomplètes agitées d’une vie impossible et visiblement dangereuse.

Elle expose aujourd’hui quelques grandes toiles, et la surprise est certaine : la construction est aussi claire, les formes aussi nettes qu’elles étaient insaisissables auparavant. Deuxième étonnement : cette simplification du dessin n’enlève rien de son étrangeté à sa création.

La relation entre l’espèce humaine et les autres mammifères est toujours aussi étroite et aussi énigmatique.

Dans un paysage réduit à un pré et un énorme rocher, un enfant chauve a des oreilles d’âne et un autre une auréole de saint et un corps de tigre des neiges. Ils ont l’air inquiet, peut-être à cause d’un renard géant. Un autre enfant semble se dédoubler en éléphant transparent.

Tout cela a un côté fable, mais fable déréglée, sans logique ni morale. Les toiles sont ainsi laissées à la libre interprétation du visiteur, fort décontenancé par tant d’évidence parfaitement incompréhensible.

Philippe Dagen

A propos de l’exposition « la contemplation de la flaque »

A un moment donné, il faut inciser, ouvrir, écarter les chairs.

A un moment donné, il faut cadrer, définir le champ opératoire.

A un moment donné, il faut y aller, se déplacer, s’approcher.

Au premier accident, j’y suis, je suis tout entier dans ce que je fais, je suis dedans, je ne cherche pas à cerner, je laisse rigoler la couleur, dégringoler l’édifice, s’affaisser ce qui prenait forme. Je ne sais plus ce que je fais, mais j’y vais, je n’arrête pas, la colère gronde, l’image se dresse devant moi, d’autant plus si ce qui vient agace.

Il y a un sale moment à passer, avant que ça jubile à nouveau. A tout moment, je le sais, ça peut foutre le camp, la bataille n’est pas gagnée, ça mange toute la surface. C’est alors le moment de se frayer un chemin, le moment précis où il me faut saisir l’éclaircie, la trouée.

Tout un monde dans la flaque, tout un monde qui s’organise et se ramifie. Tout d’un coup, ça silhouette, ça se découpe, ça se débine dans l’indistinct. Je reconnais des morceaux, je reconnais des moments. C’est tout cela qu’il faut remonter à la surface, je vais en perdre en route, pas de temps à perdre.

Un espace en mange un autre, une figure en gobe une autre. Restent un bras, une jambe, un œil, une croupe, un bris, une barbe, une ribambelle de marmots en lambeaux. Une tête en efface une autre. Une tête, autant dire une béance, une butée, ça y est, j’ai bu la tasse, j’ai bu la tête. Les joues mangées, les bords sont tout rognés.

Avant que l’espace ne se referme et n’engloutisse toutes ces figures, toutes ces bestioles, il faut s’arrêter, laisser sécher.

Bataille livrée, fantômes délivrés, la toile est roulée, la toile est tendue sur châssis, la toile est retournée contre le mur, la toile sort de l’atelier.

François Durif

Texte écrit au sortir de l’atelier de Marine Joatton le 20 mai 2009